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Le 11 novembre 1918 à Digne

Le 11 novembre 1918, Auguste Faudon est un petit Dignois de 6 ans.

50 ans plus tard, en 1968, il est cheminot SNCF à la gare de Digne, et correspondant bénévole de La Marseillaise. C’est justement dans ce quotidien que le 11 novembre 1968, il publie ses souvenirs de la journée d’armistice sous son pseudonyme : « R Bengal ». Le jour où le rond-point à l’entrée du centre-ville, devant le monument aux morts construit de 1920 à 1922, devient officiellement le « Rond-point du 11-Novembre-1918 ».
Auguste Faudon est décédé en 1982. Mais grâce à ses enfants, Danielle et Claude, et à Guy Reymond, ses milliers de photographies réalisées pour La Marseillaise entre 1957 et 1982, sont conservées depuis 2000 par le service des Archives communales de la Ville de Digne-les-Bains.

Cent ans après, avec l’accord de ses enfants que nous remercions, voici son récit : « l’Armistice du 11 novembre 1918 vu par un enfant », ainsi qu’une des photographies qu’il a pris ce 11 novembre 1968.

 

Je m’étais toujours fait une idée fausse du glorieux poilu de Verdun, de la Marne, de l’Argonne ou d’ailleurs…

J’avais en tête les images d’Epinal montrant des soldats fringués comme à la parade, enfonçant avec une charge à la baïonnette les poltrons fantassins ennemis. J’avais même plus que cela, la gravure de cet unique tireur d’élite de 1914, un genou à terre, tunique bleue et pantalon rouge, ayant derrière lui toute une compagnie, avec à sa tête un crâne officier sabre au clair, qui commandait l’attaque, tandis que les « feldgrau » s’enfuyaient en désordre d’un village alsacien en flammes. Et le patriotique refrain venait à mon esprit d’enfant imaginaire : « Vous avez pris, l’Alsace et la Lorraine, mais malgré vous, nous resterons Français !... ».
Je pourrais évoquer d’autres souvenirs de la guerre, telle que la montraient faussement à l’arrière une presse et une propagande chauvine.

Mais, lorsque mon père venait en permission, une ou deux fois l’an, la réalité était tout autre ! L’élégant soldat laissait place au poilu hirsute, plein de poux, à la tenue bleue horizon sale, aux molletières et aux gros souliers boueux. Son arrivée n’était pas toujours conforme à ses prévisions épistolaires, les motifs impondérables intervenaient trop souvent. Combien de fois sommes-nous allés en gare, attendre un train des heures et sans aucun permissionnaire !

Dès que mon père rentrait à la maison, ma mère, qui préparait chaque fois sur le feu la plus volumineuse lessive, y trempait tous ses vêtements. De temps à autre, elle soulevait le couvercle en disant : « Tiens, ces pépidons ne retourneront pas à la guerre ! » Il s’agissait des poux qui flottaient sur l’eau en ébullition.

L’Armistice de 1918 me rappelle d’abord ces souvenirs d’enfance qui ne partiront jamais de ma mémoire.

 

En ce début d’après-midi de ce 11 novembre 1918, ensoleillée et tiède, nous nous préparions pour nous rendre avec des amis, à un « cabanon » dans les environs de la ville. Ce n’était pas pour déguster l’aïoli, mais pour tirer la « piquette ».

Soudain, les cloches sonnaient à toutes volées, des pétards fusèrent sur le boulevard Gassendi, sur le Pré de Foire (aujourd’hui place de la Libération[1]) et un peu partout à travers les rues de la ville. « C’est l’Armistice ! C’est l’Armistice ! », entendait-on crier de toutes parts. La nouvelle se répandit, comme une trainée de poudre.

Je me trouvais à califourchon sur un petit âne docile. Je fus descendu brusquement à terre et sans ménagement de ma monture. La pauvre bête aussi perplexe de retourner à l’écurie, que moi à la maison !

Tout cela à cause de l’Armistice. Qu’est-ce cela voulait-il dire ? Et tout ce tintamarre de cloches et ces bombes assourdissantes, dont j’avais peur.

Mon frère, tout heureux, annonça la nouvelle à ma mère, restée au foyer, car elle travaillait à domicile pour le compte de l’Intendance. Un travail exténuant à la machine à coudre et mal payé. « Oui ! Oui ! Je sais » répondit-elle, tout en accélérant sa couture mécanique, « c’est enfin l’armistice, la guerre est finie, papa va retourner à la maison ! »

Alors, je compris subitement, comme un éclair qui perce les nuées, ce que le mot magique d’Armistice voulait dire. La guerre était terminée, mon père reviendrait pour me prendre sur ses genoux. Il ne serait plus crotté, plein de poux, il redeviendrait coquet, comme ceux des images d’Epinal.

Pour le goûter de quatre heures, ma mère nous donna, comme de coutume, une épaisse tranche de gros pain gris et un minuscule morceau d’une large barre de chocolat ordinaire. Après réflexion, elle y ajouta un grain de sucre (il était rare), en nous disant : « Allez-vous amuser dans la rue puisque c’est l’Armistice, mais faites attention aux pétards ! ».

Nous descendîmes exceptionnellement, pour cet évènement mémorable, sur le boulevard Gassendi : des groupes de conscrits, sans doute, trainaient ou poussaient des voitures hippomobiles sur lesquelles avaient pris place des jeunes gens et jeunes filles qui chantaient. Sur un charreton, un mannequin branlant représentait Guillaume[2], tandis qu’une ribambelle de gosses suivaient, couraient, criaient à tue-tête n’importe quoi, des fractions de slogans qu’ils entendaient et dont ils ne comprenaient pas toujours le sens exact. Des permissionnaires, en instance de départ pour le front, des jeunes soldats, chantaient « La Madelon », embrassaient les femmes qu’ils rencontraient ou rattrapaient, parfois non sans peine !

À la nuit tombante, les cloches ne cessaient de tourner à toutes volées, et un minuscule drapeau tricolore flottait à l’extrémité des grilles du clocher, accroché au paratonnerre. D’autres drapeaux, confectionnés hâtivement, ornèrent les fenêtres de nombreuses maisons. Toute la nuit, la population ne cessa de manifester sa joie.

 

Mais cet Armistice était au prix de combien de sacrifices humains ?

 

R Bengal

 
[1] Actuelle place Général de Gaulle.
[2] Guillaume II, empereur d’Allemagne.


 

 

Inauguration du « rond-point du 11-Novembre-1918 » le 11 novembre 1968.

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